Le séminaire consacré à la laïcité dans l'enseignement supérieur s'est tenu il y a plus d'un an, le 19 septembre 2003.

Le séminaire consacré à la laïcité dans l'enseignement supérieur s'est tenu il y a plus d'un an, le 19 septembre 2003.

La CPU publie le guide "laïcité et enseignement supérieur" pour aider les responsables d'établissement dans la gestion de ce problème.

Act'U a contacté des personnalités marquantes qui ont nourri le débat autour de cette délicate question.

Entretien avec Christian Mestre, ancien président de Strasbourg III, auteur de ce guide tant attendu dans les universités et dont plusieurs quotidiens nationaux se sont fait l'écho.

Gilles Delouche, président de l'INALCO, et Pierre Charles Ranouil, membre du CEVU et professeur de droit à Paris XIII, étaient présents lors du séminaire.

Ils font part à Act'U de leurs impressions et expériences quant à la gestion de ce problème

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Christian Mestre, ancien président de Strasbourg III, répond à nos questions à l'occasion de la parution du guide "laïcité et enseignement supérieur".


Les moyens mis à disposition des responsables d'établissement vous semblent-ils suffisants?

Nous avons les moyens de traiter les problèmes soulevés, que ce soit au niveau administratif ou pour la saisine des instances compétentes. Nous pouvons anticiper sur les problèmes pour les régler au mieux.

La difficulté résidait dans la mise à disposition de ces textes, de leur connaissance de la part des personnes qui en avaient le plus besoin dans la gestion de ces revendications sur le terrain.

La mauvaise attitude, à mon avis, est de transiger sur certaines revendications. Comme nous avons pu le constater avec, par exemple, l'organisation de groupes distincts selon le sexe des étudiants en sport dans certaines universités.

C'est tomber dans le jeu des radicaux.

Si il faut laisser une place une dialogue, tout traiter à l'amiable est une mauvaise solution.

Au nom de la liberté des individus il ne faut pas répondre à certaines demandes qui vont à l'encontre de principes républicains établis.


N'est ce pas le problème de la liberté de conscience ou d'expression qui se pose au delà de celui de laïcité?

La liberté de conscience est une affaire avant tout d'ordre privée. Elle existe au sein de l'université. C'est à dire qu'un étudiant peut être en désaccord avec le contenu d'un cours, il est libre de penser différemment.

Mais remettre en cause un cours publiquement, troubler son déroulement au nom de convictions religieuses ça, nous ne pouvons l'accepter.

Au delà des attitudes comme le débat d'idées, nous avons des attitudes de prosélytisme, de menaces, de troubles à l'ordre public qui sont menées au nom de croyances religieuses. Et ceci n'est pas de la liberté de conscience.


La majorité des revendications reprises en exemple dans le guide sur la laïcité concernent des musulmans. Cela se traduit-il sur le terrain? N'y a t-il pas de revendications avec des étudiants d'autres confessions?

Il faut reconnaître que le débat sur la laïcité est né du conflit rencontré avec les musulmans les plus radicaux.

Sinon nous rencontrons aussi des problèmes avec des étudiants juifs portant sur des dates de cours ou d'examens qui correspondent avec des fêtes religieuses. Ces revendications ont aussi posé des problèmes voire des troubles.

Dans certaines universités et CROUS nous avons assisté à une reproduction du conflit Israélo-palestinien (à partir de la 2eme Intifada) et des affrontements physiques ont eu lieu nécessitant l'intervention de la force publique.

Ces conflits ont révélé une certaine fragilité de la notion de laïcité.

Est ce que la laïcité a du mal à se faire respecter?

Oui et non, si vous voulez m'excuser pour cette réponse.

Oui parce que dans certaines situations des responsables ont transigé et ont donc apporté une certaine fragilisation au concept de laïcité. La paix sociale ne s'achète pas.

Non parce que de plus en plus de responsables ont une volonté affirmée d'apporter une solution efficace à l'ensemble de ces problèmes en réaffirmant l'existence de règles évidentes nécessaire à la vie en commun.


Quelle est, selon vous, la politique à mettre en œuvre dés à présent pour éviter que ces tensions ne prennent plus d'ampleur?

Il faut prévoir et mettre en place des lieux de discussion. Cela me semble fondamental. Il y a, il faut le souligner, une bonne volonté de la part des établissements de prendre en compte certaines demandes concernant les jours fériés, les manifestations religieuses afin d'essayer d'organiser la vie de l'institution pour assurer une satisfaction de ses utilisateurs.

Pour autant il faut rester ferme et intransigeant si ces demandes remettent en cause le principe d'égalité ou de non discrimination. Par exemple, si une demande concerne la révocation d'une examinatrice ou d'un examinateur du seul fait de son sexe. Il ne doit y avoir aucune discussion sur ce type de revendication.

Le débat qui a eu lieu au sein de l'université a montré le degré d'ouverture des établissements sur l'extérieur puisqu'il a rejoint celui qui s'est déroulé dans la société. Mais l'université n'a pas les mêmes moyens pour y répondre.

Comme elle a une tradition d'échange et de tolérance certains pensent que c'est un no man's land juridique ou tout peut se faire.


Comment a été accueilli le guide? Quels retours en avez vous eu?

Du peu que j'ai pu entendre il me semble que cette affirmation de la position de la CPU soit pris comme une bonne chose. Il fallait que les universités posent une doctrine sur ce débat qui pouvait, à terme, poser de sérieux problèmes dans leur gouvernance.

A ma connaissance c'est la première fois que l'université pose une doctrine sur un débat national.


Quels sont les échos que vous avez pu avoir sur ce débat concernant l'année écoulée? Avez vous eu connaissance d'autres incidents? Comment peut évoluer le débat selon vous?

N'étant plus président je n'ai eu que des retours partiels sur les évènements qui ont eu lieu sur l'année écoulée.

Je considère que le colloque a eu deux vertus. La première a été d'aborder une question qui était un peu tabou, sensible à traiter. La deuxième a été de prendre connaissance des expériences des autres établissements et des solutions qu'ils ont pu mettre en œuvre.

Nous avons ainsi appris que certains avaient mis en place des commissions avec des représentants religieux pour discuter, anticiper et résoudre certains problèmes.

Pour les temps à venir je pense que si le conflit israélo palestinien connaît de nouvelles tensions il y a fort à craindre que cela se répercute au sein des universités.

C'est plus directement ce conflit que celui Irakien qui a une influence sur les communautés. Bien qu'avec la prise d'otage des deux journalistes français cela ait amené beaucoup de gens vers une prise de conscience du respect nécessaire de certains éléments comme la Loi ou la notion de sphères privée et publique.


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Un an après le séminaire concernant la laïcité dans l'enseignement supérieur Act'U revient, dans un entretien avec Gilles Delouche, Président de l'INALCO, sur la suite de ses réflexions concernant ce débat.


Depuis le séminaire comment a évolué la situation dans votre établissement?

Depuis les tensions constatées en 2002-2003 et dont j'ai fait mention lors du séminaire je dois reconnaître n'avoir eu aucun problème pour l'année 2003-2004.

Sauf, peut-être, le jour de la rentrée où je me suis rendu dans le département d'arabe et où j'y ai vu quelques jeunes filles avec le visage complètement voilé. Je me suis approché pour discuter avec elles, leur demander si elles étaient étudiantes dans cet établissement. Elles m'ont répondu par l'affirmative. J'ai discuté avec ces jeunes filles et leur ai expliqué que si un voile coiffe ne me dérangeait en aucune manière je ne pouvais admettre que le visage soit masqué pour d'évident problèmes d'identification en cours ou durant les examens. Je leur ai dit que si elles n'acceptaient pas cette règle elles devraient passer à la scolarité rendre leur carte d'étudiant.

Elles ont immédiatement enlevé le voile qui recouvrait leur visage.

Ce n'était même pas un incident, au plus une discussion pour informer ces étudiantes des règles en vigueur dans l'établissement.

Ce qui m'amène à dire qu'il n'y a pas vraiment de problèmes à partir du moment où l'on est correct, clair et respectueux. On peut arriver à des résultats totalement satisfaisants de cette manière. De plus l'arsenal juridique mis à notre disposition parfaitement adapté.

Si l'on ne conteste pas les enseignements et les enseignants, si je peux identifier les étudiants qui évoluent dans l'établissement je ne vois pas où est le problème de porter un voile, une robe safran de bonze ou quelque autre vêtement que ce soit.


Hormis celle musulmane recevez vous des revendications d'étudiants d'autres confessions?

Je n'ai pas eu uniquement des problèmes avec les musulmans. Certains étudiants du département d'hébreu contestaient l'enseignement qui était dispensé.

Par exemple, une approche universitaire considère la Génèse comme un agglomérat de 3 différents textes. Nos étudiants les plus croyants contestaient cette vision et n'admettaient pas que l'on puisse parler de ce texte sacré en ces termes.

Je dois me concentrer sur le maintien de l'ordre dans les couloirs, les classes, les examens. Je ne me concentre pas sur les causes des désordres.

Je tiens aussi à dissocier quelques éléments perturbateurs de l'ensemble des étudiants.

Plusieurs journaux ont taxé le département d'arabe de l'INALCO de foyer intégriste. Je devais avoir 10 étudiants agités sur plus de 1300. Les autres correspondant parfaitement à ce que l'on se fait comme image de l'étudiant laïque, respectueux des règles mais pour autant qui a des convictions religieuses, politiques, syndicales.

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Pierre-charles RANOUIL, membre du CEVU et professeur de droit à Paris XIII, nous fait part de ses expériences au sein de l'université et de ses réflexions sur les façons d'aborder le problème de manière spécifique.


L'arsenal juridique vous semble t-il suffisant pour régler tous les problèmes concernant la laïcité au sein des établissements?

Il faut rappeler l'évidence. Nous sommes dans une université, dans un univers différent de celui du secondaire. Les gens peuvent faire état de leurs opinions ainsi qu'ils l'entendent ou se vêtir comme ils le veulent. La seule limite réside dans la liberté d'enseignement, la liberté d'expression. On ne peut tolérer que des cours soient perturbés sous quelques motifs que ce soit.

Le concept est un peu dépassé mais l'université est conçue comme le rassemblement d'hommes majeurs et libres. C'est aussi simple que cela.

La police ne rentre pas dans l'enceinte de l'université. Le président à des pouvoirs de police qu'il doit utiliser pour faire respecter certains principes de base.

Le problème de la laïcité n'est-il pas "l'arbre qui cache la forêt" face à la remise en question, par exemple, de la liberté d'expression?

En fait le problème de laïcité ne se pose pas car la liberté d'expression est totale. Si une étudiante se présente en cours voilée je n'ai absolument rien à dire. La seule limite au port du voile, par exemple, est la conformité de la tenue par rapport à l'exercice comme l'enseignement de la chimie ou la pratique sportive.

Sinon chacun est libre de penser, dire ou faire ce qu'il veut.

Quel sont les problèmes spécifiques auxquels Paris XIII doit faire face dans la cadre de cette question sur la laïcité?

Certains étudiants musulmans font leurs prières dans l'établissement. Pour l'exemple de Paris XIII le seul événement qui fasse débat.

Il faut aussi comprendre que nous sommes très éloigné géographiquement de lieux de culte.

Si nous étions situés dans le V eme arrondissement je n'accepterais pas ces pratiques puisqu'il serait alors facile de se rendre à la mosquée ou dans une église. Notre établissement étant si éloigné je pense qu'il faut se montrer conciliant envers celles et ceux qui veulent prier.

Personnellement je ne vois pas de problème à accorder une salle à une association cultuelle afin que ses membres puissent disposer d'un lieu pour se retrouver et prier.

Il faut, je pense, rappeler l'immense liberté qui est permise au sein des universités. C'est la force de cette institution. Pour autant nul ne peut entraver des libertés fondamentales comme celle de conscience ou d'expression.


 

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