Publié le 16 janv. 2004
Serge Ebersold est maître de conférence en sociologie à l'université Marc Bloch de Strasbourg. Il est également l'auteur d'un rapport pour le compte de l'Organisation de coopération et développement économiques (OCDE) sur les étudiants handicapés dans le supérieur. On lui doit aussi "L'invention du handicap" (éditions du CTNERHI) ainsi que "La naissance de l'inemployable ou l'insertion au risque de l'exclusion." (Presses Universitaires de Rennes)
Serge Ebersold est maître de conférence en sociologie à l'université Marc Bloch de Strasbourg. Il est également l'auteur d'un rapport pour le compte de l'Organisation de coopération et développement économiques (OCDE) sur les étudiants handicapés dans le supérieur. On lui doit aussi "L'invention du handicap" (éditions du CTNERHI) ainsi que "La naissance de l'inemployable ou l'insertion au risque de l'exclusion." (Presses Universitaires de Rennes)
Comment avez-vous mené votre enquête?
Cela fait un certain nombre d'années que je collabore avec l'OCDE, notamment via des travaux sur la scolarité ordinaire. La suite logique était donc de s'intéresser aux étudiants avec déficience dans l'enseignement supérieur.
Nous avons débuté notre enquête en 2001. Quelques temps auparavant, s'était déroulée à Grenoble une conférence sur les étudiants handicapés dans différents pays. A partir de ce séminaire, plusieurs pays ont été retenus pour étude : la France, le Royaume-Uni, l'Allemagne, la Suisse et dans la province canadienne de l'Ontario.
Je me suis rendu en Ontario, au Royaume-Uni et bien sûr, j'ai parcouru la France. J'ai réalisé des entretiens avec des responsables politiques, universitaires et étudiants. Je me suis aussi appuyé sur différents rapports. Il faut bien reconnaître qu'en la matière, la littérature française n'est pas pléthorique.
Cette enquête nous a permis de donner une bonne vision d'ensemble de la question.
Peut-on définir ce qu'est un étudiant handicapé?
Il n'y a pas de définition. Les approches sont très variables d'un pays à l'autre. En France, est considéré comme handicapé celui qui est reconnu par la Commission Technique d'Orientation et de Reclassement Professionnel (COTOREP). C'est une vision fonctionnelle, au regard d'une pathologie. En Ontario, est handicapé tout étudiant qui a des besoins spécifiques. Un enseignant les repère, les signale à un service spécialisé. Des psychologues lui font subir une batterie de test pour confirmer ou non ces "learning difficulties". La dyslexie par exemple, est une learning difficulty. L'approche du handicap se fait donc en termes de besoins.
Ces conceptions différentes nous donnent des chiffres très hétérogènes d'un pays à l'autre. En effet, ils ne recouvrent pas les mêmes réalités. La France compte 7 000 étudiants handicapés, soit 0,32% de sa population estudiantine contre 8,9% en Ontario. Dans l'Hexagone, parmi ces étudiants, 28% souffrent de troubles sensoriels, 23% de troubles de la santé et 22% de déficience motrice. En Ontario, 47% présentent des learning difficulties, 22% manifestent des maladies chroniques et seulement 6% des troubles sensoriels. Au Royaume-Uni, 46,6% souffrent de maladie chronique et 15,6 % de dyslexie.
La France est-elle un pays qui s'occupe de ses étudiants handicapés?
Un grand pas a été fait depuis 10 ou 15 ans, et pas seulement en France. Mais c'est vrai que, chez nous, le nombre d'étudiants handicapés a fortement augmenté. Ils étaient 3600 en 1993. En 2001, on en était à plus de 7000 !
Un des facteurs qui explique cette croissance, c'est l'augmentation de la scolarité en milieu ordinaire.
L'influence de l'Union Européenne compte aussi pour beaucoup. Des politiques non discriminatoires ont été mises en œuvre en soutenant les établissements et les personnes handicapées. Les universités peuvent ainsi disposer d'auxiliaires à la vie universitaire. Des aides techniques et humaines ont été instaurées. On trouve désormais des interprètes, des preneurs de note qui accompagnent les étudiants. En France, la loi de 1992 oblige ainsi les lieux publics à être accessibles aux handicapés.
Les universités ont-elles encore des progrès à faire en matière d'accueil des étudiants handicapés?
Tout repose sur la stratégie que développent les établissements. Les efforts qu'ils produisent permettent de normaliser cette présence des étudiants handicapés. Mais il existe des risques. Si des universités se "spécialisent" dans l'accueil des handicapés, cela peut conduire à une sorte de ghettoïsation de ces jeunes. C'est un peu ce qui se passe au Royaume-Uni. Elles peuvent aussi favoriser leur déracinement, puisque, certains étudiants, séduits par la politique proposée par l'établissement, seront tentés d'aller étudier parfois loin de chez eux. Or on sait combien le soutien familial est essentiel dans ce type de situations… Les services ne peuvent remplacer la présence de proches !
Autre dimension importante en France : l'aide aux handicapés repose souvent sur la bonne volonté de quelques personnes, souvent des enseignants, alors qu'il s'agit de vrais services en Ontario. Cela rend ces initiatives plus fragiles
Existe-t-il en France des universités plus avancées que d'autres sur cette question ?
On ne peut pas vraiment dire ça. Chacune a sa spécificité. A Grenoble, par exemple, on a pensé l'accessibilité en l'inscrivant dans un territoire. L'accès à l'université a été conçu en même temps que l'accès à la ville même.
Mais Grenoble a une tradition d'accueil des étudiants handicapés, notamment parce qu'elle comptait de nombreux sanatoriums où des jeunes qu'ils fallaient bien former venaient se faire soigner.
A Strasbourg, on réfléchit beaucoup en ce moment à la question des services à proposer.
Comment les établissements français peuvent-ils encore améliorer leur politique d'accueil?
Le raisonnement en termes de besoins me paraît essentiel. Nous devons personnaliser les formes d'accompagnement et les soutiens. En Ontario, cette personnalisation repose sur une collaboration étroite entre l'Etat et les établissements. Pour être habilitées, les universités doivent s'engager dans une politique d'accessibilité. Celle-ci est financée par l'Etat qui joue donc son rôle.
Le National Educational Association of Disabled Students (NEADS), organisation qui promeut un accès égal aux études pour les handicapés, a monté un observatoire. Il permet de recueillir des données sur les conditions de vie des étudiants handicapés. Cela offre aux universités la possibilité de comprendre les enjeux du problèmes et de réajuster leur politique en cas de besoin.
Nous devons envisager différemment la question du handicap. Elle n'est pas la résultante d'une déficience, mais de l'interaction entre un individu, l'environnement et la contrainte imposée par la déficience.
Nous devrions mettre en place un cadre législatif interdisant toute forme de discrimination, des outils statistiques pour mieux saisir la réalité du handicap et mobiliser les moyens financiers nécessaires. Sans cela, on risque de rester dans une logique strictement philanthropique. Et ce n'est pas du tout souhaitable.
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