Lettre n°14Dans le courant du mois de novembre, deux appels à un renouveau, à une réorientation de la LOLF ont été publiés, tous deux par des auteurs représentant des instances de contrôle de l’appareil exécutif d’Etat.

Il s’agit tout d’abord du rapport rendu par les parlementaires Alain Lambert et Didier Migaud en octobre et publié le 2 novembre 2006.
Ces « pères » de la LOLF remettent au Gouvernement, sur sa demande, un rapport à la fois critique et constructif sur la façon dont l’exécutif a mis en place la réforme conçue et voulue par le législateur organique.
Par ailleurs, le Comité Interministériel d’Audit des Programmes (CIAP), constitué des représentants des corps d’inspection et de contrôle afin d’harmoniser l’analyse de la qualité des programmes(1), a rendu son rapport d’activité le 15 novembre 2006. Or, ce dernier est le résultat du 3ème cycle d’audit, portant notamment sur le programme 150 « Formations supérieures et Recherche Universitaire », ce qui rend d’autant plus intéressant ce rapport du « fils » de la réforme créé en 2003. Mais loin de se contenter d’une analyse des programmes audités dans ce cycle, le CIAP, comme à son habitude, nous livre les clés pour améliorer le dispositif dans son ensemble.

Ainsi, le pouvoir exécutif reçoit presque simultanément les remarques du pouvoir législatif, qui est constitutionnellement en charge de son contrôle, et des représentants des corps d’inspection, que l’exécutif a constitués afin de contrôler ses propres services.
Il nous a donc semblé opportun d’aborder ces deux documents dans un premier temps de manière croisée, afin de dégager les lignes convergentes de ce que pourrait être l’évolution de la réforme dans l’avenir. Dans une seconde partie, nous tenterons une présentation des autres données importantes qui, sans constituer des divergences, ne sont pas communes aux deux opus. Cependant, étant donné leur richesse, nous insisterons essentiellement sur les éléments qui concernent plus particulièrement la politique d’enseignement supérieur et de recherche.

Constats et remèdes partagés pour restaurer la LOLF

La lecture successive des deux rapports fait apparaître une volonté urgente de donner un nouveau souffle à la réforme par des mesures communes.

Une analyse commune des écarts entre les objectifs initiaux et la réalité

Les parlementaires ainsi que le CIAP reconnaissent un bilan en demi-teinte de cette « épreuve des faits » à laquelle la réforme a été confrontée cette année 2006 : la gestion en mode LOLF ne s’est pas révélée pour tous comme une gestion particulièrement plus souple. A cela plusieurs types de causes sont exposés : des bonnes (par exemple, passer à une comptabilité en droits constatés, suivre des indicateurs de coûts ou de performance, c’est difficile, surtout avec de logiciels qui ne sont pas à jour, mais c’est nécessaire), des moins bonnes (indicateurs en nombre trop important ou non-pertinents, complexité excessive du plan de compte de l’Etat, budgétisation « analytique » dans certains programmes qui multiplient les sous-actions) ou des mauvaises (méfiances ou habitudes centrales qui conduisent à scléroser les niveaux opérationnels par la segmentation des enveloppes et le fléchage des crédits).

Les auteurs des rapports commentés ici ne mettent donc aucunement en cause la LOLF elle-même, ne demandent en aucun cas son amendement et encore moins son « retrait ». Ils demandent à ce que la réforme de l’Etat se poursuive autour des principes posés par la Loi Organique, afin que l’esprit de la réforme entre dans les faits.

Des recommandations communes pour y remédier

C’est presque un cri d’alarme que lancent en cœur les parlementaires et le président du CIAP : si le gouvernement ne redresse pas rapidement le cap suivant leurs recommandations, la « bureaucratisation » et les approches techniciennes étoufferont la logique de performance et l’appropriation de la LOLF se révèlera un échec.
Pour remédier à ces dérives, les rapports dressent des préconisations simples, faisant appel à un retour aux principes fondateurs de la réforme :

- simplifications pour les gestionnaires (simplifier les nomenclatures de dépenses par le resserrement du plan de comptes de l’Etat et la réduction du nombre d’actions ; engagement sur l’action principale et ventilation au stade du mandat) ;
- pilotage pour le responsable de programme (leur confier le pilotage des crédits, des emplois et de la performance ; les fonctions supports ou les secrétariats généraux devant être des « prestataires de service » pour les responsables de programme ; mettre à leur disposition un système d’information permettant un suivi fin des activités, des crédits, des emplois et de la masse salariale et des indicateurs) ;
- dialogue de gestion (globaliser les budgets des échelons opérationnels et réduire les fléchages de crédits ; oser la déclinaison de la logique de performance, notamment par le choix d’indicateurs PAP qui soient moins nombreux et qui soient déclinables en objectifs opérationnels, et non pas des objectifs suivis au seul niveau central et qui ne peuvent donc pas rentrer dans un « système pyramidal de contrôle de gestion »).

Pour illustrer le second point relatif à la situation du responsable de programme vis-à-vis des fonctions supports, question sur laquelle les deux rapports sont en parfaite harmonie, imaginons l’inconfort dans lequel se trouverait un responsable de programme que l’on charge d’atteindre une performance, mais qui ne maîtrise pas la gestion de ses personnels et ne contrôle pas les « équivalents temps plein travaillé » (ETPT) ou la masse salariale… Les rapporteurs reconnaissent cependant que, les emplois étant toujours autorisés et gérés au niveau des ministères, l’intégration des fonctions supports aux directions de programme ne ferait que conduire à des « doublonnements » peu efficients. Il importe toutefois de s’assurer qu’un responsable de programme soit en mesure de décider dans ces domaines : ainsi la circulaire du 9 août 2006 invite à la mise en place d’un co-pilotage de la fongibilité asymétrique entre les DAF et les responsables de programme. Mais il reste des domaines dans lesquels ce co-pilotage n’est pas de mise.

Compléments individuels des rapports pour approfondir la LOLF

Si les points partagés entre les auteurs des deux rapports présentent un intérêt particulier, certains éléments propres à chaque rapport sont également susceptibles d’enrichir notoirement la réforme, dans des dimensions relativement différentes.

Le rapport Lambert - Migaud

Ce rapport pose un certain nombre de recommandations d’une grande profondeur, notamment quant à la démarche de performance, présentée comme le moteur principal de la réforme.

Ainsi, il convient de revoir en profondeur la culture budgétaire de l’Etat en mettant fin à la séparation entre les pilotages budgétaires et de performances, tant au stade de l'élaboration qu'à celui de la déclinaison opérationnelle.
Cette recommandation, extrapolée au dialogue de gestion entre l'Etat et les opérateurs, doit nous mener à une réflexion sur la meilleure articulation à trouver entre, d'une part, la contractualisation et l'évaluation des universités (performance) et, d'autre part, l'attribution de leurs moyens. Mais il s'agit là de répondre à la délicate question : face à tel résultat (bon ou moins bon), quel doit être la réaction financière ?

Sur ce point, le rapport évoque deux pistes intéressantes :
Tout d'abord, il ne peut être fait de lien automatique entre niveau de performance et niveau de crédit, au risque sinon d'introduire des biais dangereux. En effet, non seulement les indicateurs ne sont pas le seul moyen d'apprécier la qualité d'une politique mais par ailleurs, si le résultat n'est pas au rendez-vous, c'est parfois qu'il faut donner plus...
Ensuite, il importe de trouver des mécanismes financiers encourageants, permettant de récompenser les programmes (et non leurs seuls responsables) ayant réalisé des gains de productivité.

En outre, il est essentiel de faire de la LOLF un levier de modernisation profonde de la GRH (GPEEC, déconcentration, développement d’une logique de filière, allant au-delà de la logique de corps, à l’instar de la fonction publique territoriale,…).
Enfin, deux axes majeurs méritent d’être relevés : l’accroissement de la pluriannualité (en Suède et aux Pays-Bas, le budget est présenté et voté sur une base pluriannuelle et révisé ensuite annuellement en fonction de la conjoncture) et l’extension de la LOLF aux collectivités territoriales (des volontés d’expérimentations existent d’ores et déjà : il est souhaitable de les encourager).

Le rapport du CIAP

Plus « terre à terre », le rapport s’attarde sur toutes les dimensions de la réforme qui méritent des améliorations, et plus spécialement pour le programme 150.

En matière de découpage budgétaire, il est demandé le transfert des allocations de recherche du programme 172 « orientation et pilotage de la recherche » au programme 150, ce qui a été pris en compte dans le PLF 2007. Il est également demandé à ce que l’action 16 de ce dernier programme disparaisse progressivement. Le MENESR, qui a justifié cet état de fait par la difficulté à répartir les DGF des établissements au sein des actions L/M et D, s’y est engagé. Enfin, si le CIAP maintient la présence de la recherche universitaire dans le programme 150 – car il n’appartient pas aux structurations budgétaires de réaliser la réorganisation du paysage de la recherche que la France ne fait pas – il considère que la recherche dans son ensemble doit être ajoutée aux politiques qui font l’objet d’un « Document de Politique Transversale ».
En ce qui concerne la question des opérateurs et de l’exercice par l’Etat de la tutelle sur ces derniers, il est mentionné l’avance dont dispose le MENESR en matière de contractualisation. Il est toutefois indiqué que cette avance pourra vite devenir un retard, dans la mesure où le renouvellement complet des contrats ne pourra intervenir qu’en 2010 du fait du système des vagues de contractualisation. En outre, le CIAP suggère que les EPST relevant du programme 194 soient systématiquement parties prenantes aux contrats quadriennaux des EPSCP afin de faciliter le pilotage de la performance par les deux directions concernées.
Au sujet de l’analyse des coûts, le rapport invite à la recherche d’un équilibre entre la pertinence et la simplicité, afin de rejoindre la préoccupation d’assouplissement pour les gestionnaires évoqué en première partie de notre éditorial : éviter la clé de répartition globale des fonctions supports sur la base des ETPT par action (simple mais pas toujours pertinent) mais éviter également les déversements en cascade  (pertinent mais pas toujours simple). Le CIAP recommande de préférer des clés de répartition par grandes rubriques de dépense des supports (immobilier, consommables, formations,..) comme dans le cadre de la JPE. En outre, le rapport pointe le caractère crucial de la fiabilisation de la répartition des ETPT et de la masse salariale correspondante par action (laquelle sert elle-même de clé de répartition, comme nous venons de le voir). A ce sujet, le CIAP invite à recourir à des « enquêtes-temps » afin de connaître la répartition, par action, de l’activité de tous les agents.
Pour ce qui est de la justification au premier euro (JPE), une volonté de donner un élan fort à cette dimension est affirmée. Pour le CIAP, il est indispensable de rendre à ce volet de la réforme sa place dans le dispositif d’ensemble. Il ne s’agit pas simplement de dire au parlement : « Voilà pourquoi je vous demande tant d’argent » ; il s’agit, au cours d’une démarche qui débute par la discussion des objectifs, de faire l’état des moyens humains et financiers dont souhaite disposer le responsable de programme pour toucher du doigt le résultat, la démarche se terminant par la définition des coûts qui doit se faire de manière cohérente avec la JPE.

Cette exigence de cohérence se retrouve à tous les niveaux dans le rapport :
- cohérence budget / coûts : dans le cadre de l’analyse des coûts, il ne devrait pas y avoir de déversements de coûts importants entre programmes de politique publique, sinon cela signifie que la budgétisation est insincère ;
- cohérence coûts / JPE : dans le cadre de la JPE si l’on répartit les ETPT entre les actions LMD selon telles clés de répartition, les mêmes clés devraient être utilisées pour l’analyse des coûts, sinon cela signifie que la justification est inexacte ;

Dès lors, cycliquement, si les cohérences susmentionnées sont respectées, l’attribution des moyens budgétaires se fait en cohérence avec la JPE, elle-même cohérente avec les coûts affichés et, ainsi, chacune de ces étapes devrait progressivement être conduite à se rapprocher de la sincérité et l’analyse de la performance prendra tout son sens.

Notes :

(1) Le CIAP a été créé par la circulaire du 4 juillet 2003 sur une décision du Comité Interministériel de Réforme de l’Etat du 15 novembre 2001.

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